Environné d’un chatoiement de couleurs, de fleurs et de sonorités subtiles. À l’arrière-plan ruisselle une eau limpide. La vraie vie se blottit entre les plis du temps et s’écoule dans l’âme comme dans une coupe d’or. La plénitude, la paix et le bonheur prennent forme derrière les yeux fermés. Alors la pensée s’interrompt elle aussi. Le nirvana s’insinue entre une pensée et la suivante. Presque rien : silence complet. L’esprit humain, dans l’instant où il vit cela, éprouve une conscience pure, une plénitude fugace, un clin d’œil de Dieu.

Les protestants ressentent depuis longtemps une saine méfiance à l’égard de la mystique. Le protestantisme se tourne bien plus vers la parole que vers l’expérience. En ces temps où la parole ressemble beaucoup plus à un instrument de domination, avec des images mentales injustes et trompeuses, la Parole attire beaucoup moins. Aussi la prédication est-elle devenue un véhicule délicat. Tout est critiqué et tout particulièrement les pratiques et les idées religieuses. On approche la Bible et la tradition avec une attitude critique, tandis qu’on conforte le grand néant avec un entêtement inversement proportionnel. Ceux que ces affirmations et ces négations ne satisfont pas cherchent un soulagement dans des méthodes alternatives pour trouver le repos et l’harmonie. Nous nous avançons alors sur le terrain du New Age, où apparaissent beaucoup de formes plus ou moins nouvelles de méditation et de prière (silencieuse). Nous pouvons tous les jours nous documenter sur les bienfaits de la méditation en pleine conscience, du yoga, et de la méditation zen. Une nouvelle forme de pensée positive bariolée domine cette nouvelle tendance au bonheur, avec ses festivals, ses boutiques web, ses magazines et même ses applications. Les jeunes sont en recherche du flow, à tellement se fondre dans ce qu’ils font que tout finit par s’estomper.

Si maintenant nous jetons un regard rétrospectif et que nous comparons les phénomènes qui ont émergé ces deux dernières décennies avec le développement historique de notre culture, nous pouvons sans peine voir qu’à mesure qu’on resserrait le carcan social, l’attirance pour la mystique et l’évasion mentale augmentait. Mais il y a plus. Cette dialectique culturelle se déployait aussi dans la vie personnelle, en vous et moi. Plus l’exigence d’efficacité s’impose à nous, moins nous nous sentons en mesure de lui donner complètement satisfaction par nos prestations. La quantité des buts que nous nous fixons et l’acharnement avec lequel nous les poursuivons nous préoccupent à tel point que cette injonction à obtenir satisfaction et à jouir nous plonge dans l’angoisse. Nous redoutons de ne pas y arriver, de tirer trop court ou d’échouer et nous donnons un coup de collier supplémentaire. Nous ne pouvons pas vivre dans une tension permanente, nous ne pouvons plus nous engager dans rien et nous tombons dans une sorte d’anémie affective. Si cela persiste cela mène au découragement, à l’épuisement et au burn-out. Tout ce qui peut nous apprendre à lâcher prise et à déstresser est bienvenu : mindfulness et flowtherapie apportent une réponse. On apprend à accéder à la plénitude et cela sans conséquence lucrative, simplement pour soi-même.

Si je demande à des amis à quel moment ils parviennent à être tout à fait en repos, le score le plus haut va à l’expérience musicale. Rarement dit-on “pendant un culte”. La prière et la méditation marchent bien aussi. Un ami à moi médite une heure par jour et m’assure qu’il puise son énergie quotidienne dans ce moment de retour sur soi et de paix. C’est au moins un conseil que je peux suivre quand je suis sous pression : fermer les yeux pour trouver le repos et le calme dans le repos. Mais ça ne m’apporte ni bonheur ni énergie. Un bon livre peut me distraire de la réalité. Ça se rapproche du flow, parce que le temps passe et que la réalité s’y concentre le temps de la lecture. Alors, le bonheur pointe son nez. Mais si je cherche encore plus loin et que je tâte le terrain pour trouver une source d’énergie, j’en arrive aux textes méditatifs de la Bible et des traditions chrétiennes ou autres. J’insiste sur le caractère méditatif des textes, parmi lesquels les évangiles tiennent la première place, mais aussi les récits de la Genèse, les prières des Psaumes et les sentences de l’Ecclésiaste. Le De Imitatione Christi ou Also sprach Zarathustra en font aussi partie. La différence entre ces textes et les autres littératures tient dans le tempo de la lecture et l’inéluctable incitation à une réflexion créative qu’ils suscitent à chaque fois. Quelques versets suffisent, un paragraphe, une expression d’une sagesse étincelante, de quoi passer une heure ou deux à réfléchir et à rédiger des notes, esquisser un dessin ou écrire un poème. Alors je suis absorbé par une réalité qui dépasse le quotidien. À la fin, je sais que le temps est passé comme « le souffle d’une brise légère ».

 

Environné de pensées chatoyantes qui frôlent l’éternel, planant par l’esprit comme sur l’aile des mots. Les images et la connaissance inondent l’âme d’une eau vivifiante. Je ne veux rien, mon désir est comblé dans l’instant. Serein, j’éprouve derrière mes yeux fermés le bonheur de ne rien devoir. Simplement le silence accompli, une ouverture sur l’éternité, un clin d’œil de Dieu.

 

Johan Temmerman (Traduction du néerlandais : Richard Bennahmias)

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