Il m’arrive d’ouvrir certains livres avec le sentiment d’entrer dans une maison inconnue, comme par effraction. L’Intranquillité de Marion Muller-Colard en fait partie. Il y a bien sûr une curiosité joyeuse à découvrir la pensée d’une auteure dont j’aime l’écriture claire et poétique, et que je suis, non sans avidité, à chacune de ses publications, depuis l’Autre Dieu jusqu’au Complexe d’Élie pour ne citer que deux ouvrages récents, remarqués et remarquables. Marion Muller-Colard n’est pas seulement théologienne, ce qui n’est qu’un titre ; elle est écrivaine, ce qui pour ma part relève de la qualité.

Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos : Marion Muller-Colard nous parle bien de Dieu, mais elle ne l’aborde pas comme le ferait un membre de la faculté, avec un enseignement morgue. Non, elle nous parle d’un Dieu (car nous ne faisons jamais que de parler d’un Dieu en voulant parler de Dieu) qui s’ancre au plus près de la réalité de ce que nous sommes, de ce que, en reprenant Malraux, nous pourrions appeler la condition humaine, et qu’elle nomme intranquillité.

Et c’est ici que le sentiment d’effraction se transforme peu à peu en une angoisse, alors que j’entre dans sa réflexion qui fait bouger en moi des lignes que j’avais cru fermement tracées. S’il est vrai que l’on tient un livre comme on tient un miroir, alors ce qui s’y lit n’en est pas moins le reflet de qui je suis et de ce que je projette de moi, fût-ce avec inconfort. Marion Muller-Colard, avec sa plume toute en douceur, m’invite à contempler ce bel édifice de ma foi que je croyais assurée car rassurante et qui n’en était qu’« une forteresse de certitudes » dans laquelle je l’avais enfermée. Car pour elle, la foi n’est pas un dogme, et la parole de Dieu ainsi que sa grâce, pour gratuits que nous les recevions, n’en ont pas moins un coût.

Ce coût, c’est celui justement de ne plus nous assurer de rien, de ne plus nous border dans une vie paisible, de ne plus nous limiter dans nos croyances, mais bien plutôt de nous ouvrir au monde, de nous forcer à rencontrer l’autre, en un mot d’exister, au sens premier du terme : sortir de soi. Les Évangiles, nous montre-t-elle, sont pleins de ces hommes et de ses femmes pour qui le destin semblait une ligne d’horizon fixe qui se mit soudain à tanguer dangereusement à l’appel de Dieu. Ainsi de Marie, la jeune promise, et Joseph, qui doivent affronter l’événement d’une naissance hors du commun ; ou encore de Zacharie, l’homme des prédictions, qui doit abandonner ses repères, et sa voix, jusqu’à qu’il ait pu enfin nommer son fils d’un  nom qui ne sera pas le sien. Il n’est pas jusqu’à Jésus, qui, par la grâce de l’humilité d’une étrangère lui réclamant des miettes de bonne parole, se retournera, se convertira à ce qui lui était tout autre.

L’intranquillité de Marion Muller-Colard n’a pas toujours le visage que nous voudrions prêter à la grâce. Elle est parfois plus difficile à regarder, presque dérangeante. Et c’est là qu’elle nous invite à dépasser notre peur, à regarder droit dans les yeux cette étrange dame qui vient nous réveiller la nuit et à lui accorder la douceur de notre attention. Car l’intranquillité, et c’est la conclusion que j’en ai tirée, se mérite aussi.

 

Baptiste Thollon

 

L’intranquillité

De Marion Muller-Colard

Ed. Bayard, « J’y crois », Paris 2016

106 pages

Crédit photo : Marion Muller-Colard

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