Source : Relief #1, rubrique Horizon

 

Est-ce que j’ai le temps ? Quoi ? Est-ce que j’ai le temps de répondre à cet appel comme ça en plein milieu d’une réunion ? D’écouter les mêmes plaintes quotidiennes de ma voisine âgée alors que je me dépêche d’aller au travail ? D’aller chercher à l’école mon enfant qui vient de tomber malade ? Quoi ? Maintenant ?

Non, je n’ai pas le temps !

 

Mais ça, on ne le dit pas. À la question « as-tu le temps », nous avons le réflexe préprogrammé de répondre automatiquement « oui, bien sûr ». Mais ce n’est pas vrai. Je n’ai pas le temps. C’est le temps qui m’a. Mon agenda régit ma vie. Des centaines de responsabilités et attentes explicites et implicites régissent ma vie : mon patron, mes collègues, les deadlines, mes enfants, mes parents, les voisins, les amis, le fitness, les médias sociaux, le propriétaire, la voiture qui doit passer le contrôle technique, ce rendez-vous chez le médecin qui est toujours repoussé… La liste est longue. Et tous se battent pour avoir la priorité. Pfff…

Je n’ai donc pas du tout le temps de lire ce magazine. Je le feuillette d’un œil distrait pendant que je vérifie la dernière notification sur WhatsApp et que je mets un plat préparé dans le four à micro-ondes – ouille, combien de temps ça doit chauffer ? Pas le temps de vérifier.

Ce serait chouette de lire quelque chose sur le thème du temps car je suis vraiment fatiguée d’être prise à la gorge par le temps. Comment les autres s’en sortent-ils ? Comment puis-je prendre exemple sur eux ?

Une chose est sûre : quand on est pris par le temps, on est tout sauf seul. Par contre : être débordé, c’est tendance. Alors, on est bien, on compte, on apporte quelque chose. Ne rien faire, vraiment rien, ne serait-ce que cinq minutes, c’est impensable, c’est tabou.

Notre vie n’est plus définie par des structures établies et rectilignes comme dans les générations précédentes (se marier, avoir des enfants, avoir un emploi, vivre près de sa famille) où il y avait un temps pour chaque chose ; les attentes d’aujourd’hui sont comme une pelote composée d’une centaine de fils chaotiques, non chronologiques et indémêlables qui peuvent à tout moment se briser ou continuer de s’intriquer mais nous devons suivre un trajet couronné de succès, convenable et bien huilé. Le temps m’a mais je dois faire comme si j’avais du temps, c’est-à-dire : je gère tout. « Tout est sous contrôle. » Le mythe du siècle.

C’est n’est pas étonnant qu’il y ait tous ces cas de burn out mais ça, évidemment, on ne le montre pas sur Facebook. Ah oui, encore une chose idéale pour remplir nos temps d’arrêt (car nous ne devons pas en avoir) : notre lien avec le monde virtuel grâce à ce petit appareil qui doit être remplacé tous les deux ans.

 

Nous n’avons pas le temps, le temps nous a. Tout n’est donc pas sous contrôle. Avant que cela n’arrive, il vaut mieux que l’on fasse quelque chose. Solutions ? Prendre plus souvent des vacances. Pleine conscience. Dormir moins. Faire des heures supplémentaires. Interruption de carrière. Voici les solutions.

Mais au fond, nous restons des bêtes traquées, stressées par des facteurs externes à nous-mêmes mais aussi internes. C’est ça le problème. Nous l’avons dans la peau. Le meneur d’esclaves. Cette petite voix qui est toujours présente. Le film Everybody happy de Nic Balthazar expose bien ce conflit. Ce petit homme dans notre tête qui se moque tout le temps de nous car nous échouons. Par conséquent, nous essayons encore plus de faire de notre mieux pour prouver que ce n’est PAS le cas. Nous ne voulons certainement pas être considérés comme des losers par ceux qui veulent nous voir occupés.

 

Le temps est ce qu’il y a de plus précieux car le temps, c’est de l’argent.

Mais le temps, c’est aussi de l’amour. Le temps en soi est neutre. Tout comme l’argent. C’est ce dont on en fait, à qui on le donne, comment on le partage, qui montre clairement ce qui a de la valeur pour nous.

Le temps est la chose la plus précieuse que l’on puisse donner. À nous-mêmes, à ceux qui sont importants pour nous. C’est pour ça que le temps, c’est de l’amour. Mais il faut s’y consacrer totalement, sinon on va à l’encontre de notre objectif. Éteindre son smartphone. Mieux organiser son agenda. Prendre le temps. C’est facile à dire. Pourtant, nous n’y arrivons pas car cela ne fonctionne pas comme ça.

L’horloge tourne sans notre aide. Il y a du temps. Et on peut en prendre. Se le réapproprier. Quand c’est possible. Que ce soit dans ou en dehors du travail. À l’intérieur ou à l’extérieur de la tête. Essayons un instant. Ne serait-ce que cinq minutes par jour. Pour commencer. Juste pour récupérer cette sensation que l’on maîtrise le temps. Alors nous verrons que nous sommes des gagnants. Nous, tout et toutes les personnes dans notre vie y gagnent.

Cela ne va pas de soi. Ça demande du courage. Pas tellement à la surface. Les bonnes intentions et les notes sur le calendrier ne suffisent pas. Notre comportement ne suffit pas pour faire disparaître cette accoutumance au stress. Il faut surtout du courage pour admettre et prendre pleinement conscience qu’il y a un temps pour chaque chose. C’est la clé. Il y a un temps pour tout. C’était comme cela avant et ça l’est encore maintenant. Si l’on veut bien le voir. Il y a un temps pour travailler et un temps pour dormir. C’est l’un ou l’autre. Il ne faut donc pas vérifier ses e-mails dans son lit. Il y a un temps pour prendre soin et relâcher la pression. Pas besoin donc d’harceler indéfiniment ses enfants avec des messages. Il y a un temps pour se développer et un temps pour se monter plus modeste. Il y a un temps pour pleurer et un temps pour danser. Il ne faut donc pas faire semblant que rien ne nous embête mais il ne faut pas non plus se plaindre continuellement quand les choses vont bien. Il y a un temps pour tout. Il n’y a pas que la pleine conscience et le bouddhisme qui le préconisent. Il y a aussi ce vieux livre que l’on appelle la Bible.

La Bible peut être libératrice !

Tout a un temps. C’est aussi simple que ça. C’est la loi fondamentale de la vie. C’est la vie. Il ne faut pas l’entraver ni la pourchasser.

Si l’on vit avec cela en tête, on vit vraiment. Chaque jour. Pas seulement pendant nos temps libres (dans quelle mesure sont-ils réellement libres ?) mais nous vivons des temps libérés. On est libre quand les choses peuvent prendre leur temps. Le temps qui leur convient. Le cours des choses. Leur flow. Il y a des choses rapides et des choses lentes. Dans la nature, dans la vie. Forcer les choses les détériore un peu. Aller lentement peut être une « solution » plus rapide que d’essayer constamment d’accélérer ce qui est lent. Le chagrin, par exemple. Ou l’amour. Ou la signifiance. Ou la beauté. Ce sont par excellence des choses qui rendent la vie précieuse et ce sont justement ces choses qui se construisent lentement en faisant souvent des détours parfois laborieux.

Si on libère son temps pour offrir ce qu’il y a à offrir alors on vit véritablement.

 

Quid de toutes ces deadlines, exigences et attentes ? Une chose à la fois.

Vous avez le temps !

Petra Schipper

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