Petit Elie a 5 ans. C’est drôle, d’avoir 5 ans, on s’interroge, on s’émerveille, on comprend comme on peut.

A l’église, on chante des prières. J’aime bien la chanson du cerf et du cirque. Celle qui parle comme un cerf, et des haltères. Les haltères, je sais bien ce que c’est, c’est des choses très lourdes que porte le monsieur très fort du cirque. Des haltères et Bram. Bram je sais pas qui c’est. Peut-être le monsieur très fort qui porte les haltères. Ou peut-être un clown, avec un gros nez rouge. Pourchassant le Fred Aiseau. Fred Aiseau, je sais qui c’est, c’est un ami de papa.

Il a 15 ans. Pour sa confirmation, il a écrit un texte à lire devant l’assemblée. Il y parle de Celui en qui il essaye de croire, et de la prière, aussi. La prière comme il aime qu’elle bouge, qu’elle se chante avec joie, pas ces trucs de vieux pleins d’orgue et de poussière. La louange. Mais aussi la prière calme, celle qu’on vit seul dans sa chambre… « Toi, quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le secret. » (Mt 6,6). Il a un peu de mal avec ça, quand même.

Prier c’est comme chercher Dieu. Dieu, je le cherche sans jamais le trouver. Quand je m’adresse à lui, j’espère qu’Il m’entend, mais je n’en sais rien.

Il a 25 ans. Il ne prie pas. Pas le temps. Pas envie. Il est trop occupé à vivre. Plein de passion. Et puis il est amoureux. Et qu’est-ce qu’elle est belle, son amoureuse ! Il croit que Dieu n’est pas là. Comme si Dieu n’existait que si nous pensons à Lui, et lui, le plus souvent, il n’y pense pas, happé par le bruit.

Petit Elie a 35 ans et des galères. Tout s’accumule, le divorce, les enfants qu’on ne voit plus qu’à mi-temps, le travail aux cadences infernales, le burn out qui guette, et la peur de perdre pieds. Il ouvre sa Bible. Il relit les psaumes.

Toutes ces supplications, Seigneur ! C’est moi cet homme en détresse, cette souffrance, c’est moi, je crie vers toi, viens à mon secours ! Sauve-moi.

Il part en voyage dans sa tête, dans son cœur. Il revisite le Dieu de sa jeunesse. Il doute, il critique, il soupèse. Il retourne à l’église. Les prédications le nourrissent. Et les échanges avec les amis, les frères et sœurs.

Dans la prière, seul à seul avec Dieu, il revient aux racines de son nom. A cet Elie à qui peut-être il ressemble.

Cet Elie au bord du gouffre, qui a vu se fracasser toutes les certitudes fougueuses de sa jeunesse, et qui n’est plus qu’un homme épuisé, envahi par la dépression, cet Elie qui supplie Dieu de le laisser mourir.

« Cela suffit ! Maintenant, Seigneur prend ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères ! » (1 R 19, 4)

Il a 45 ans. Il est en question, il est en doute, mais plus apaisé.

Et si Dieu était autrement ? La quête se lisse sous les assauts des sables du désert, comme si toutes les aspérités de l’être s’adoucissaient sous la morsure du temps… à moins que ce ne soit sous la caresse de Dieu ? Et sa soif de Dieu remonte en lui de très loin, de très profond.

« Soudain, un messager le toucha et dit : Lève-toi, mange ! » (1 R 19, 6)

Un jour, je me suis senti touché, comme si un ange posait sa main sur mon épaule et venait me donner à manger tout l’amour infini de Dieu. Dans un petit murmure. Un vent léger. Un souffle. Et depuis ce moment, mon chemin s’est comme inversé. Je ne prie plus Dieu pour qu’il me sauve mais pour le remercier de m’avoir sauvé.

Il a 55 ans. Depuis quelques temps, il est entré dans un autre chemin de prière. La prière silencieuse. Respirer, se poser là, sous le regard de Dieu, et contempler. Ne plus s’inquiéter de l’action de Dieu (qui crée, qui parle, qui entend, qui relève, qui sauve, qui exauce, dit-on, les prières) mais seulement désirer goûter la présence de Dieu.

Car si Dieu se dit dans le silence ténu, pour l’entendre, il faut se taire, il faut consentir au silence. Je fais miens les mots de la pasteure Carolina Costa :

« Je me laisse traverser par le souffle de Dieu.

Il me rend pleinement présent ici et maintenant.

Je laisse Dieu être Dieu en moi,

Il me nourrit par son Esprit,

Il me remplit de son amour.

Mon être entier est ouvert,

Disponible. »

 

Il demeure et chemine dans le silence. C’est un long exercice, comme toutes les pratiques de méditation. Il ne s’agit pas seulement simplement d’être là, mais de se tenir auprès de ce Dieu toujours présent qui toujours l’attend, qui attend sa présence à lui-même. Faire taire le flot de ses pensées, ou plutôt les laisser passer sans s’y arrêter. Se recentrer. Revenir, revenir sans cesse à Dieu. A l’école de la vieille tradition de la prière silencieuse, des pères du désert, de Jeanne de Chantal, de Maître Eckhart et de tant d’autres.

Sentir que Dieu est là, que Dieu est en lui.

« Enfin, après le feu, une voix ténue. » (1 R 19, 13)

Je laisse Dieu être Dieu en moi.

Se tenir en Dieu.

Françoise Nimal

 

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